L'avenir de la télévision publique : lettre ouverte aux politiques de gauche. (04/04/2012)



Face aux déclarations d'intention des partis politiques de gauche (qui suivent en annexe) floues et peu argumentées sur les questions culturelles, ce texte vise à proposer quelques suggestions pour une véritable réforme de la télévision publique en France.

Il est à noter que la récente loi sur la réforme de la télévision publique du 5 mars 2009 ne dit rien sur la mission spécifique de la télévision publique et son interaction avec l'évolution de la société française. C'est une loi qui vise à libérer la capacité des chaînes privées de se financer par la publicité sans craindre la concurrence des chaînes publiques, et qui confirme la subordination de l'ensemble des sociétés de la radio ou télédiffusion publique aux volontés du Chef de l’État. Donc les suggestions qui suivent sont destinées à combler une vide dans la politique du gouvernement actuel, et aussi dans les programmes des partis de gauche.


1) Sur le rôle et la nomination des membres du CSA.

Le CSA est le garant d'un usage au service de l'intérêt public d'un bien public, la capacité d'émettre par des ondes hertziennes ou par n'importe quel autre moyen de diffusion des contenus audiovisuels.

Sur ses neuf membres, seuls trois devraient être nommés par des instances politiques (président, sénat, assemblée). Les six autres devraient être nommés par les associations de spectateurs et usagers d'une part, et les instances représentatives des créateurs (auteurs, artistes, producteurs) de l'autre. Son Président devra être nommé par ses 9 membres.

Sa mission devrait être de veiller au respect d'un code de déontologie par tous les acteurs de l'industrie audiovisuelle, de veiller au respect du cahier des charges de toutes les sociétés émettrices, mais aussi de veiller à ce que la télévision publique remplisse sa mission. Il faut que sa capacité de sanctionner soit renforcée à la fois en termes de pouvoir de dissuasion et en termes de rapidité.


2) Sur la distinction entre industries de télévision publiques et privées

Il est légitime que la télévision privée soit tenue à respecter un code déontologique qui fixe les limites aux représentations mettant en question l'exploitation et la dignité humaine, ainsi que la neutralité politique de ses émissions d'information ou de débat, qui sont régulièrement mis en avant dans leurs cahiers des charges pour l’obtention du faisceau hertzien. Toutefois il semble prévisible, étant donné la dépendance totale de ses revenus aux ventes publicitaires, que la majorité de ses émissions visent une massification des audiences et une rentabilisation des investissements de production. Il est à noter que la loi du 5 mars 2009, en même temps qu'il interdit à la télévision publique de recourir à la publicité, augmente les durées de diffusion publicitaire de la télévision privée. Il met la télévision publique sous la botte de 'L'Etat actionnaire' (pouvoir de nommer le président de France Télévisions et de toutes les sociétés émettrices). Mais ni dans cette loi, ni dans le rapport parlementaire de M. Copé qui l'a inspiré, il n'est question de la mission précise de la télévision publique.

Or redéfinir la mission de la télévision publique est une priorité. Il est tout à fait inacceptable que l'argent public serve à financer des sociétés qui produisent de mauvais clones de la programmation privée. Il est tout à fait inacceptable que l'argent public renforce la spectacularisation de la société et du pouvoir, voire l'aliénation des spectateurs. La télévision publique doit avoir comme objectif de rompre avec la société du spectacle et de la marchandisation..

Il est temps de proposer un profond remaniement de ses buts et missions: La télévision publique doit se fixer comme mission trois objectifs fondamentaux :

- étendre et approfondir la connaissance et la reconnaissance des droits humains et des luttes pour la dignité humaine,

- améliorer la connaissance du monde, des sciences et les sociétés humaines,

- participer à la diversité de la création artistique.

La télévision publique doit renouer avec les ambitions pédagogiques et culturelles de ses créateurs et pionniers.


3) Trois missions, trois chaînes, seulement !

Pour décliner la mission de la télévision publique, il suffit de trois dispositifs pour trois manières de faire. Les ressources de la télévision publique sont limitées, il est nécessaire de les concentrer et de ne pas disperser l'effort sur une multiplicité de structures gourmandes en frais de fonctionnement et alourdies par un encadrement excessif et coûteux. L'essentiel de l'argent public doit être orienté vers la création et à la production.


En conséquence, les ressources financières de la télévision publique doivent être concentrées.

Une première chaîne déclinerait un programme visant un public large. L'idée serait de créer des émissions visant des publics plutôt généraux, peut-être peu aventureux sur le plan du langage audiovisuel mais couvrant une vaste panoplie de sujets et de formes, de l'animation à la grande fiction. Une telle chaîne pourrait fusionner les structures et les ressources de France Deux et de France Cinq.

Une deuxième chaîne mettrait l'accent sur l'expérimentation et des contenus plus pointus. Cette chaîne serait celle de la forte "valeur ajoutée" créative. Il faudrait qu'elle puisse jouer le rôle de phare pour l'ensemble du tissu de création et de production. Il faut qu'elle soit protégée des considérations d'audience et d'audimat. Cette chaîne pourrait combiner le composant français d'Arte, à condition que celui-ci redécouvre l'audace et le goût pour l'expérimentation de ses débuts, et des fonctions éducatrices de la BBC2.

Une troisième chaîne mettrait en pratique une vieille idée de l'audiovisuel français, mais que cette fois-ci il faudra réaliser entièrement - il faut construire une fédération de sociétés d'émission autonomes dans les régions. Ces sociétés régionales seraient responsables de l'ensemble de leurs horaires de diffusion à l'exception de quelques créneaux limités de partage et d'échange. Des moyens seraient mis à la disposition de chaque unité de production régionale pour développer une vraie programmation créatrice en interaction avec les réalités locales. Chaque chaîne intégrerait évidemment tous les particularismes (langue, culture, histoire…) y compris, pour le temps qu'ils restent dans le giron français, les départements et territoires d’outre-mer, les confettis de l'empire.

Une chaîne "infos" publique franco-française n'est pas une priorité. Pourquoi ne pas faire alliance avec les télés francophones regroupées autour de TV5 pour monter un projet international si vraiment le besoin d'une télé mondiale d'infos où on parle français est si pressant..

L'idée du PS de financer une chaîne "jeunes" ne brille non plus par sa pertinence. On ne peut plus penser la télévision principalement un mode de diffusion, surtout pour les jeunes générations, mais comme un outil de création de programmes, de films, de contenus qui peuvent être captés par la télédiffusion ou repris par divers médias ou modes de transmission. Chacune des chaînes peut et doit viser divers "créneaux" de leur public. Si une ouverture spécifique vers les jeunes est à penser, c'est plutôt en renforçant les moyens disponibles pour financer les projets de jeunes créateurs et de jeunes talents. Et ceux-ci devraient pouvoir être proposés à l'ensemble de la gamme de diffusion.



4) Une réforme des instances de décision :

L'histoire de la télévision publique en France est l'histoire de la construction d'empires d'un pouvoir personnel fortement empreints d'une certaine culture de classe et solidement arrimés au personnel en charge de l’État. La soirée culturelle au Cirque d'Hiver où François Hollande s'est fait entourer par tout ce que la télévision française compte comme roitelets et dinosaures de la télé des années 90 n'augurait rien de bon. L’anomalie de ce fonctionnement entraîne une hypertrophie des pouvoirs et un trop grand formatage des émissions. C’est pourquoi il faudrait une plus forte collectivisation des décisions. Comme il existe un "comité de rédaction" au sein d'une publication quelconque, on pourrait imaginer un comité des programmes, décisionnel et organisé par genre (comme il en existe déjà au sein du CNC) sur l'ensemble des chaînes publiques. Ceci n'empêche pas que tel ou tel individu pourrait être nommé animateur principal ou producteur principal d'une émission ou d'une série d'émissions pour une période donnée. Mais cette nomination devrait être limitée et sous surveillance collégiale. Le comité de rédaction devrait forcément comprendre des représentants du personnel créatif "de la maison" comme, par roulement et pour une période donnée, de l'extérieur. Une telle collectivisation de la prise de décision assurerait la diversité et la qualité renouvelée au sein des chaînes mieux que l'actuel système de petits potentats dont les fortunes montent ou descendent au gré de l'audimat.


5) La place du documentaire

Le documentaire de création doit retrouver toute sa place dans l'ensemble du paysage audiovisuel, y compris aux heures de grande écoute et à l'adresse de tous les publics.

Les missions de la télévision publique telles qu'annoncées ici devraient pousser les émissions à chercher une forte interaction des moyens d'expression audiovisuelle avec la réalité du monde. Le documentaire de création (et la fiction inspirée des formes documentaires) sont parmi les véhicules privilégiés de cette interaction. C'est pourquoi, à notre avis, les chaînes de télévision publiques doivent devenir des financeurs privilégiés de cette forme de cinéma et de programme.


Michael Hoare




Annexe et pour rappel : Extraits des programmes

le P.S.

Nous mettrons fin à la nomination par le président de la République des responsables de l’audiovisuel public. Ils seront nommés par les conseils d’administration, dont la composition sera revue (France Télévisions, Radio France et Audiovisuel extérieur de la France) pour permettre une représentation paritaire entre la majorité parlementaire et l’opposition, une meilleure représentation du personnel et l’augmentation du nombre de personnalités qualifiées désignées par le Conseil supérieur

de l’audiovisuel (CSA). Celui-ci sera réformé dans sa composition et rendu indépendant du pouvoir politique. La composition du CSA devra respecter le principe de parité entre hommes et femmes.

Une nouvelle ambition sera donnée au service public audiovisuel :

création d’une chaîne jeunesse (enfants et jeunes adultes) sans publicité sur le canal de France 4, création d’un nouveau portail d’information alimenté par l’ensemble des opérateurs publics, création d’une marque permettant au service public de se distinguer – un « label ombrelle » – pour favoriser le vivre-ensemble, restaurer la confiance du public et encourager l’innovation, ainsi qu’une politique volontariste de mise à disposition de certains programmes à destination du public.

Bien sûr, pour la gauche, soutenir la création audiovisuelle sera un enjeu européen autant qu’un objectif national. Le bilan de la Commission Barroso est, en ce domaine aussi, hélas calamiteux. Il y a pourtant beaucoup à faire : création d’un CSA européen, harmonisation des réglementations, soutien aux industries européennes, extension d’Arte aux autres pays européens, etc.


Le Front de Gauche

Nous mettrons en chantier la refondation du service public de l’art et de la culture par une loi d’orientation et de programmation budgétaire, qui réaffirmera la responsabilité publique et nationale de l’État et construira une compétence partagée entre l’État et les collectivités territoriales. Nous aurons pour objectif de porter l’effort public à 1 % du PIB en une législature. Nous mettrons un coup d’arrêt au processus de marchandisation du service public de la culture et annulerons immédiatement, dans ce secteur aussi, la RGPP. Un vaste débat public, national, décentralisé et ouvert à tous les acteurs culturels comme à l’ensemble des citoyens, portera tout à la fois sur le sens de cette politique culturelle et sur les moyens nécessaires à sa réalisation. À cet effet, nous organiserons des Conférences régionales réunissant l’État, les collectivités territoriales, les professionnels et les citoyens.

Nous réaffirmerons le lien étroit entre le soutien à la création et l’appropriation sociale et citoyenne des œuvres et des pratiques culturelles et artistiques. Cela passe par le renouveau de l’éducation artistique à l’école et de l’éducation populaire, dans la cité et l’entreprise.

Face à l’emprise des industries culturelles sur l’ensemble des activités des champs artistique, littéraire et médiatique, nous mettrons en place les régulations qui s’imposent et ferons, en toutes circonstances, prévaloir l’intérêt public, afin d’affranchir notre économie de la culture de la soumission à l’argent. Nous encouragerons le développement de l’économie sociale et solidaire.

Nous affirmerons la centralité du travail artistique et culturel au sein des politiques publiques en termes d’emploi, de droits sociaux, de statuts et de rémunérations. La réforme de 2003 du régime de l’intermittence sera renégociée avec les organisations professionnelles, pour mettre en place un système de protection pérenne et mutualiste. Plus généralement, la lutte contre la précarité dans les différentes professions artistiques, culturelles et de communication sera résolument entreprise. Nous abrogerons la loi Hadopi, créerons une plateforme publique de téléchargement, et engagerons une vaste concertation en vue de garantir le respect des droits, moraux et à rémunération, des artistes, auteurs et interprètes grâce à une mise à contribution des fournisseurs d’accès, des opérateurs de télécommunications et du marché publicitaire.

Nous proposerons une loi contre les concentrations dans la presse, les médias et l’audiovisuel, pour les libérer des logiques financières et du diktat de l’audimat, afin de leur permettre d’accomplir leurs missions au service du pluralisme de l’information et de la culture. Nous créerons un Conseil national des médias composé d’élus, de représentants des professionnels et des usagers, chargé de veiller au respect de la responsabilité publique et nationale, et de favoriser la création de coopératives de presse.

Nous refonderons un Pôle public des médias et garantirons l’existence de médias associatifs et de la presse d’opinion.

Nous agirons pour doter l’Union européenne d’une authentique politique culturelle dotée des moyens correspondants, en vue de favoriser le dialogue des cultures et de renforcer les échanges entre artistes et acteurs culturels des États de l’Union. Nous poursuivrons et développerons le combat pour l’exception et la diversité culturelles.


EELV

Les écologistes sont favorables à une réforme du financement de l’audiovisuel public et de sa gouvernance.

Toute société détenant au-delà d'un certain seuil du capital d’une entreprise de presse pourrait être exclue du droit de répondre à un marché public.

Il convient de redéfinir le rôle et les missions du CSA pour assurer son indépendance réelle et de revenir sur la nomination des dirigeants de l’audiovisuel public.

Il faut garantir un soutien à l'audiovisuel public, renforcer ces collaborations avec d’autres services publics (éducation, emploi, santé, etc.), définir une charte de déontologie en cas de conflit d’intérêt pour les animateurs-producteurs dans le service public : aide à l’investissement dans les nouvelles technologies pour diversifier les accès aux contenus et aux écrans, éducation des jeunes publics aux usages de l’internet et à la lecture de l’information.

Des Etats généraux de la profession (syndicats de journalistes et éditeurs de presse, audiovisuel et internet) se tiendront pour formuler des propositions relatives aux évolutions du métier, au statut et à la rémunération des journalistes.

Dans chaque entreprise de presse, une Association de journalistes et/ou une société des rédacteurs, doit être constituée selon les modalités qui seront à préciser par la loi (élections sur le modèle de sélections professionnelles). Il conviendra de préserver l'Agence France Presse dans son indépendance à l'égard des pouvoirs politiques et économiques en garantissant son statut, tel que défini dans la loi de 1957